Benoîte Groult par elle-même
Benoîte Groult, si elle était morte à trente ans, serait une inconnue dans le monde littéraire. C'est l'âge, en effet, auquel elle publia son premier roman, écrit en collaboration avec sa sœur Flora : "Le journal à quatre mains" paru en 1963.
Avant cette date, elle fut sagement professeur de latin et de littérature dans un cours religieux pour jeunes filles, puis journaliste à Radiodiffusion française, mais sans manifester d'ambitions particulières ni d'activité créatrice dans aucun domaine, au grand regret de sa mère Nicole Groult, sœur de Paul Poiret et qui avait créé sa propre maison de couture, et de son père, le décorateur André Groult.
Un veuvage précoce en 1946, un remariage, suivi d'un divorce en 1951, une union avec l'écrivain Paul Guimard, qui paraît durable (trente-cinq ans, trois enfants), des émissions pour Paris Inter (bulletins d'informations, etc.), tout cela lui sembla apparemment suffisant pour remplir vingt ans de sa vie avant de songer à publier quelques uns de ses textes qui dormaient dans ses tiroirs: ses carnets de jeune fille pendant l'Occupation, entrecroisés avec ceux de sa sœur cadette, Flora.
Le succès immédiat de ce récit romancé encouragea les deux sœurs à récidiver et à écrire ensemble deux autres romans.
Mais le déclic qui devait transformer l'écrivain féminin en écrivaine féministe ne s'était pas encore produit. Au point que c'est sous le nom de Benoîte Guimard, patronyme de son mari, qu'elle traduisit dans les années 1950 les nouvelles américaines de Dorothy Parker.
Le vrai virage de sa carrière se situe en 1975 avec la publication d'"Ainsi soit-elle". Mi-pamphlet, mi-tableau de la condition féminine. Le féministe latent mais jamais clairement exprimé dans ses quatre romans précédents devait trouver, au cours des recherches historiques auxquelles l'auteur se livra, l'occasion de se structurer.
Les innombrables et si diverses manifestations de l'oppression du Deuxième Sexe un peu partout dans le monde, à toutes les époques et dans la majorité des civilisations et systèmes religieux, allaient ainsi fonder un militantisme pour la cause des femmes qui ne ferait que croître et embellir avec les années.
A partir de ce moment, elle s'associe à tous les combats féministes : lutte pour la contraception puis la dépénalisation de l'avortement, création avec un collectif de femmes noires du Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles en Afrique, etc., militant selon les moyens dont elle dispose, essais, éditoriaux, conférences, colloques à l'étranger, etc.
Jusqu'en 1985, le féminisme est bien supporté en France. Chaque maison d'édition s'honore de créer sa propre collection d'écrits de femmes et sur les femmes. Porté par ce courant favorable, "Ainsi soit-elle" se vendra à plus de 800000 exemplaires et sera traduit en allemand, en espagnol, en italien, en portugais, en hébreu, en croate, en japonais...
Mais à partir de 1985, la vague de féminisme reflue, victime d'une réaction de rejet, surtout en France. Les hommes l'estiment déplacé et nuisible, les femmes n'osent plus l'afficher. Il est vrai que les principales batailles sont gagnées, du moins sur le papier. Mais les comportements suivent difficilement.
Un signe patent, parmi d'autres, de cette résistance passive : le refus de féminiser les noms des nouveaux métiers que les femmes exercent aujourd'hui, surtout quand il s'agit de fonctions prestigieuses réservées jusqu'ici aux hommes.
La commission de terminologie pour la féminisations des noms de métiers, de grades et de fonctions créée par Yvette Roudy, la ministre des droits de la femme, sous le gouvernement Fabius, composée de grammairiens et de sociolinguistiques et présidée par Benoîte Groult, visait à recommander des formes acceptables pour le public et grammaticalement correctes.
Mais elle apparut dans les médias, qui retrouvaient là un de leurs sujets de raillerie favoris, comme un ramassis de pétroleuses et de bas bleus qui cherchaient à enjuponner le vocabulaire et s'arroger le droit exorbitant de toucher à la langue française, bastion du pouvoir culturel masculin.
Des audaces telles qu'avocate, sculptrice, une ministre, députée, écrivaine apparurent comme un crime de lèse-majesté, au mieux grotesque, en tout cas inacceptable (dixit l'Académie française, composée à l'époque de messieurs-dames et retournée aujourd'hui à sa pureté originelle).
Cependant, l'usage semble peu à peu accepter ces formes nouvelles.
Mais Benoîte Groult n'abandonne pas pour autant le roman. Après "Les Trois quart du temps", en 1983, évocation de trois générations de femmes, un titre récent, "les Vaisseaux du cœur", en 1988, une histoire d'amour passion entre un marin-pêcheur breton et une intellectuelle parisienne qui refuse de se sentir pécheresse. Un livre où l'on découvre que le féminisme le plus convaincu ne débouche pas forcément sur une impasse mais ouvre au contraire la voie à bien des épanouissements.
En 2006, son roman "La touche étoile" remporte un grand succès populaire et littéraire.
Son autobiographie "Histoire d’une évasion", écrite avec l’intervention de Josyane Savigneau, publié en 1997 est rééditée en 2008 sous le titre "Mon évasion".